La communication dans le jeu par Max

Ce qui peut attirer notre attention vers une boîte de jeu est aussi varié que l’était la garde robe d’Elizabeth II. L’auteur, l’illustratrice, la mécanique, la coopération, le format… Tout le monde a ses préférences et heureusement pour nous, tout le monde peut trouver son bonheur parmi la multitude de sorties de chaque année. J’aimerais m’attarder dans cet article à une sous-mécanique, quelque chose que je trouve fascinant comme parfois dérangeant. Je veux parler de la communication limitée. Parler, dans un jeu, ce n’est pas forcément une obligation et cela peut être réglementé de trois grandes manières : soit on peut parler librement, soit on ne peut pas parler, soit de façon limitée. Je vais donc détailler chacune d’entre elles avec quelques exemples et voir ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Évidemment, on restera dans les jeux coopératifs ou tout du moins collaboratifs.

I) On ne parle pas !

Les jeux où toute communication est formellement interdite sont assez rares. Par manque d’idées des auteurs ? Par peur des éditeurs de créer un blanc autour de la table ? Parce que le concept est trop limité ? Hum, peut-être un mixte de tout cela. Pour ma part je trouve que se poser sur un jeu sans aucune parole peut être bénéfique pour créer une ambiance particulière et devoir essayer de se faire comprendre autrement.

L’exemple qui me vient immédiatement en tête quand on évoque cette mécanique est le très bon The Mind de Wolgang Warsch où le but est extrêmement simple : chaque personne autour de la table a autant de cartes que la manche en cours et il va falloir les jouer dans l’ordre croissant sans pour autant pouvoir communiquer avec les autres. On se regarde, on se jauge, on hésite et au final quelqu’un se jette à l’eau. Ce jeu force à jouer avec les autres, en osmose, à ressentir ce qui se passe autour de la table.

L’un des gros avantages de cette mécanique est d’enlever l’effet « Joueur Alpha », lorsqu’un joueur ou une joueuse dirige toutes les actions du groupe en tant que chef(fe) souvent autoproclamé(e) (coucou Pandémie, mais je reviendrais sur toi plus tard!).

Je peux citer également Formz, de Anthony Perone, un jeu de dessin coopératif où l’un des joueurs doit deviner un mot que les autres vont devoir lui dessiner coopérativement, sachant que chacun ne peut dessiner qu’une forme. Comprendre ce que les autres essaient de faire, se rallier à leurs idées ou essayer d’en donner une nouvelle sans pour autant pouvoir la formuler avec des mots. C’est drôle, c’est fun, les moments où on se rend compte que les autres n’ont pas pensé comme nous font le sel du jeu tout comme les dessins moches…

C’est une mécanique qui, je trouve, fonctionne bien et apporte cette belle confusion de groupe tout en poussant la tablée à essayer de regarder dans la même direction et à s’entendre le plus parfaitement possible.

II) Finalement parlez comme vous voulez !

L’absence d’interdiction de communication peut laisser sous-entendre que le jeu peut se jouer en solo. En effet si tous les joueurs ont accès à toutes les informations et qu’ils peuvent se les échanger librement et bien autant être seul et le faire dans sa tête ! Vraiment ? Ma réponse ne sera pas aussi nette et franche !

La preuve avec des exemples ! (Le scientifique à l’intérieur de moi est un peu mort à la suite de cette phrase mais passons à la suite avant de faire ses obsèques!)

Pandémie, LE jeu coopératif sorti en 2008, de Matt Leacock, celui qui a eu l’effet d’une bombe dans le milieu ludique à sa sortie (sans parler de sa version légacy…!) celui qui a été maintes fois décliné et celui qui en a inspiré tant après lui. Niveau communication : tout est autorisé ! Il faut dire que les cartes que les joueurs et les joueuses ont en main ne sont pas vraiment dans leur main mais faces visibles sur la table. À son tour, un joueur doit faire jusqu’à 4 actions. Le plateau étant commun, ses cartes visibles et la menace commune à tout le monde, il peut y avoir discussion pour savoir ce qu’il y a de mieux à faire.  Quand je dis discussion, c’est souvent un joueur qui donne ce qui est, selon lui, la meilleure chose à faire, et les autres qui approuvent ou qui trouvent quelque chose de mieux. Il s’agit d’optimiser les actions et les savoir-faire de chaque personnage car tout le monde possède un petit pouvoir unique. La communication demandée ici est différente : on n’échange pas des informations qui nous sont propres, on échange des idées. Cela vient du fait que chacun et chacune peut voir ce qu’il se passe partout mais en même temps. Si l’auteur avait décidé que chaque joueur devait cacher son jeu, celui-ci n’aurait-il pas perdu en fluidité ? Il n’empêche que cette mécanique rend le jeu ici assez solitaire et sans forcément besoin des autres.

D’autres ont contourné légèrement le problème comme The Loop de Théo Rivière et Maxime Rambourg. Le principe simplifié : 7 zones temporelles qui forment un cercle où l’on peut se déplacer, chaque personnage a un pouvoir et un deck de départ qu’on va pouvoir améliorer. On a toujours 3 cartes devant nous, à notre tour on peut les jouer et potentiellement les rejouer en « loopant » (utilisation de cube vert à faire apparaître sur le plateau). Pour gagner il faut réaliser 4 objectifs.

 Fin de la parenthèse : dans The Loop, les cartes en main de chacun sont également exposées face visible devant soi mais avec cette fois chacune un petit pouvoir, en plus d’un symbole et d’une couleur. Il n’est pas très difficile de voir la couleur et le symbole des autres cartes mais le texte est plus compliqué à lire. Ce qui force la communication. On peut et on doit toujours parler de ce que l’on va faire mais il faut se coordonner suivant les actions que l’on aura, disponibles à notre tour. On pourrait, tout comme Pandémie, avoir ce problème de « joueur alpha » mais il est plus facile à contrer et il s’impose moins de lui-même. Le fait que le terrain change également entre chaque joueur influe beaucoup sur ce point.

En dernier exemple j’ai envie de citer Spirit Island, un jeu coopératif expert de R.Eric Reuss où cette fois, le niveau de difficulté du jeu devient tel qu’il faut faire confiance en ses alliés et où, s’occuper déjà de ses cartes, oui encore des cartes, est déjà un casse-tête en soi. Sa main est cachée mais on peut absolument tout dire et c’est même fortement recommandé puisque bon nombre de pouvoirs interagissent directement avec les autres. En y prenant vraiment le temps, oui on pourrait également avoir le même soucis qu’avec Pandemie mais il faudrait vraiment le vouloir. En même temps les deux jeux n’ayant pas les mêmes exigences il n’est pas incohérent de ne pas avoir les mêmes problèmes.

Cette méthode de communication introduit donc quelques soucis mais il reste efficace et facile à comprendre et à faire comprendre. Certains y verront du puzzle à plusieurs. C’est parfois vrai mais si tout le monde ne réfléchit pas de la même façon on peut voir les choses différemment et être complémentaires.

III) Quand y’a du flou, y’a un loup !

On dit qu’on garde le meilleur pour la fin, pas vraiment ici ! Certains jeux essaient de jouer sur le fait que la communication soit partielle.  On ne peut pas tout dire mais quand même un peu. Étrangement c’est Tabou qui me vient en tête en premier. Tabou, le vieux jeu où on doit faire deviner des mots à son équipe en étant restreint de quelques mots. L’intérêt du jeu réside dans le fait de ne pas tout dire. Ce qui fonctionne bien.

Dans The Game, de W.Warsch (oui encore mais je fais ce que je veux), on joue chacun des cartes numérotées sur l’une des 4 piles disponibles. Deux vont dans l’ordre croissant et deux dans l’ordre décroissant. Le but final étant de pouvoir avoir joué les 100 cartes du jeu. Ainsi, lorsque ce n’est pas son tour, il est impossible de donner la valeur exacte de ses cartes mais on peut signaler qu’on préférerait jouer sur telle ou telle pile. Cela peut vouloir dire qu’on a des cartes proches de celles déjà jouées ou que l’on a possibilité de faire un bon coup. L’information est vague mais suffisante à elle même.

Dans Bossin’Space, jeu coopératif de Petr Vojtech et Jindrich Pavlasek, on doit affronter des vaisseaux ennemis en déplaçant le notre et en le faisant attaquer. Pour ça à chaque tour chaque joueur va choisir une carte (déplacement ; attaque, soin…) et la donner au capitaine actuel qui va alors ensuite devoir les classer pour déterminer l’ordre dans lequel ces actions vont se faire. On ne peut pas dire ce que l’on a sur ses cartes, on ne doit même pas vraiment parler de ce qu’il faut jouer mais juste expliquer les menaces qui arrivent et ensuite chacun est maître de son destin. La communication ne se fait alors pas sur ce que les joueurs ont individuellement mais sur le but. Il est évident que si tout le monde jouait à main ouverte le jeu n’aurait plus aucun intérêt et deviendrait un jeu solo, certes sympathique, mais peu intéressant à plusieurs.

Et enfin on a les jeux comme The A.R.T project de Florian Sirieix et Benoit Turpin. Dans ce jeu tous les joueurs piochent deux cartes à chaque tour et doivent décider d’en jouer une et de jeter l’autre. Sur chaque carte, il y a 4 lignes d’informations. Les ressources dépensées, les ressources gagnées, les lieux où apparaîtront des ennemis sur le plateau et un symbole qui sert au cours de la partie. Ces cartes sont cachées mais on va pouvoir en parler ensemble pour essayer de se mettre tous d’accord sur ce qu’il faut jouer. C’est là que l’histoire du flou et du loup intervient.

On ne peut pas tout dire, normal, sinon on montrerait simplement la carte. Sauf que, au dos de la carte on voit les symboles qui apparaissent sur la 4ème ligne. Bon. Une information de donnée déjà. Si on regarde un peu plus les règles, en particulier les exemples de ce que l’on peut dire on se rend compte qu’on peut parler des prérequis de nos cartes, soit la première ligne de notre dite-carte. On a ensuite un exemple qui nous montre que l’on peut également dire où des agents pourront arriver c’est la ligne numéro 2 de notre carte. Et finalement la troisième ligne étant les ressources que l’on gagne, elle répond directement à la demande formulée sur la ligne précédente. En résumé on peut tout dire mais pas tout non plus. Quel est l’intérêt de rajouter cette complexité de mémoire et de répétition de questions pour savoir qui peut faire quoi quand on pourrait simplement se montrer les cartes ? Éviter l’effet « personne qui donne des ordres » ? Il n’est pas évité, juste repoussé. Du coup comment doit-on jouer ? Que doit-on se dire ? Tout ? Rien ? À l’appréciation des joueurs et des joueuses autour de la table ?  J’aime bloquer sur des façons de gagner le jeu, pas sur la façon de jouer.

En conclusion la communication limitée est une mécanique maintes fois utilisée mais à mon humble avis, peu de fois maîtrisée. Le fossé entre la communication totale et la communication absente est rempli de jeux qui, à force de nous balancer d’un côté ou de l’autre, nous fait souvent chavirer. L’absence de précision sur certains jeux me les ont fait complètement abandonner alors que je suis sûr qu’il y a une idée intéressante derrière.

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